dimanche 17 juin 2007

Les facettes d'une même réalité

Au cours d'un séminaire de comité de direction, l'un des managers, Jacques, exprime son agacement : « Un problème que j'aimerais régler au plus vite, c’est le cas de Lucie, notre assistante. Cette femme est vraiment nulle. Il faut s'en débarrasser ! » Plusieurs de ses collègues renchérissent : « Je suis d'accord avec toi, moi aussi je n’ai que des problèmes avec elle.»

Le consultant intervenant auprès de cette équipe de direction n'a aucun a priori sur Lucie. Il ne sait pas qui a raison et qui a tort, il souhaite juste passer d'une discussion centrée sur les émotions et les jugements à une discussion basée sur des faits précis. Il sait par expérience qu'il y a souvent un écart important entre les faits et leur interprétation. Il demande donc à Jacques de lui en dire plus : « Il est possible que la meilleure décision soit de négocier le départ de cette personne ou de la faire évoluer. Mais, avant, j'aimerais que vous m'expliquiez ce qu'elle a fait pour susciter votre exaspération. »

« L’autre jour, un de nos gros clients me téléphone : il a un problème avec l'une de nos livraisons et est vraiment énervé. J'appelle Lucie par l'interphone et lui demande de m’apporter le dossier de ce client. Elle n'a même pas été capable de m'apporter le bon dossier ! C'est quand même incroyable de faire des bourdes pareilles, au niveau où elle est payée. »

À ce moment-là, se tournant vers lui, intervient un autre membre du comité de direction : « Ca ne s’est pas tout à fait passé comme ça… Tu étais toi-même très énervé, et quand tu as appelé Lucie par l'interphone tu criais et tu l'a vraiment bousculée. » De fil en aiguille, Jacques et ses collègues se rendent compte qu'ils ont des comportements très affirmés et parfois cassants avec Lucie ; et quand leur ton monte, elle perd ses moyens.

En continuant à évoquer le cas de cette assistante, les participants s’aperçoivent que ce manque de résistance face à l'agressivité a des contreparties à la fois agréables et utiles. Lucie est beaucoup plus diplomate que l'assistante qu'ils avaient auparavant, elle est plus souple et elle apporte beaucoup d'intelligence dans la façon dont elle gère les dossiers…

A l’issue de cette discussion, non seulement ils décident de la garder, mais ils conviennent d'être plus attentifs à la façon dont ils se comportent avec elle… Le résultat se voit très vite : les problèmes « d'incompétence » de Lucie disparaissent comme par enchantement. Au contraire, sa finesse et son savoir-faire relationnel complètent bien le côté fonceur et un peu brutal de ses managers.

Par la suite, le consultant a l'occasion de rencontrer Lucie et de recueillir sa version de l’histoire… « Je savais qu’il me trouvait nulle. A chaque fois qu’il s’adressait à moi, il prenait un air excédé ou impatient. Le jour où il m’a demandé de lui apporter ce fameux dossier, il m’a presque aboyé dessus. Je n’ai pas compris de quel client il s’agissait et je n’ai pas osé le faire répéter… J’ai pris, parmi les dossiers en cours, celui dont le nom ressemblait à ce qu’il avait dit. A sa tête, j'ai vu que ce n'était pas le bon, j'en étais malade, et je n'ai pas dormi de la nuit. Le lendemain je n'avais qu'une envie : donner ma démission ; mais je ne pouvais pas me le permettre.  C'était d'autant plus difficile à supporter que le directeur avec lequel je travaillais précédemment passait tous les jours cinq minutes pour faire le point avec moi, moyennant quoi tout se passait très bien. Je me sentais autonome, j'avais plaisir à venir le matin, et il me disait à quel point il était satisfait du travail que je faisais pour lui. Heureusement, depuis le séminaire, les choses ont changé. Jacques est plus calme et moi, je me sens bien plus efficace. »


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